Chaque voyage amène son lot de découvertes. C’est à Erevan que j’ai fait celle du doudouk. Le doudouk (duduk), cette flûte traditionnelle du Caucase, est certainement le plus
arménien des instruments de musique. Son timbre doux est sans doute ce qui ressemble le plus à la voix humaine, c’est pourquoi il accompagne à merveille les mélodies les plus souvent
mélancoliques des Arméniens. (www.acam-france.org/musique/1-doudouk.htm) Mais ses sonorités conviennent également aux morceaux plus gais qu’on joue dans les fêtes de village, lors des baptêmes ou
des mariages. Et traditionnellement, chaque morceau était joué par deux musiciens, l’un qui fait le bourdon et l’autre la mélodie.
En visite près d’Erevan, chez le maître flûtier Karen Hakobian (Hakobyan) qui nous montre son atelier avant de nous jouer plusieurs de ses morceaux favoris, nous apprenons que le
doudouk est fait du plus arménien des bois, puisqu’il s’agit du bois d’abricotier. Ne dit-on pas ici que l’abricotier est originaire du pays, et que ce sont les Romains qui l’ont
baptisé son fruit «prune d’Arménie» -ce qui est aujourd’hui encore son nom latin scientifique, prunus armeniaca – lorsqu’ils l’ont introduit en Europe il y a 2000 ans. Il n’y a qu’en
Arménie qu’on en produit car la fabrication de ce petit cylindre de bois n’est pas des plus aisées. Il faut d’abord exposer le bois aux intempéries, au vent, à la neige, à la pluie et à la
canicule avant de le laisser sécher en intérieur pendant plusieurs années.
Le doudouk fait entre 28 et 40 centimètres de longueur. Il est percé de huit trous (certains en ont même dix), plus un en-dessous, et est surmonté d’une anche double en
roseau, appelée « ghamish » qui permet au joueur de flûte de respirer en soufflant. Plusieurs autres instruments à vent complètent la palette arménienne de flûtes dont les plus courantes pour nom
chevi, zouna, ou encore srink.
Inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2005,le doudouk a été chanté par les écrivains arméniens comme Missak Medzarentz (1885-1908), qui
dans un poème rend hommage à cet instrument plurimillénaire dont la «musique est langage venu du fond des temps». C’est au compositeur, ethnomusicologue et prêtre, Komitas, mort fou en
France après avoir subi les horreurs de la déportation lors du génocide arménien de 1915, qu’on doit d’avoir rassemblé les nombreuses mélodies populaires et religieuses de son pays. En parcourant
le pays, il a collecté plus de 3.000 chants traditionnels et grandement codifié la musique arménienne, alliance de sacré et de folklorique dans lequel le doudouk a toute sa place.
Mais au fil des années, le doudouk a perdu beaucoup de son caractère populaire pour devenir un instrument joué pendant les concerts. Certains musiciens arméniens ont grâce à lui obtenu une
consécration internationale. Et cette musique a été grandement popularisée par des artistes de la diaspora, notamment le marseillais Levon Minassian, à qui l’on doit de l’avoir fait entrer en
France dans les musiques de films d’Armand Amar (Indigènes, Amen). Auparavant Minassian s’était lié avec le célèbre compositeur Petar Gabriel, l’homme qui avait le premier introduit le doudouk
dans une musique de film, à savoir La dernière tentation du Christ de Martin Scorcese. Depuis lors, l’instrument a également échappé à son origine arménienne dans de nombreuses musiques de films
(Gladiator, le Monde de Narnia) mais aussi de nombreuses bandes sonores de jeux vidéo.
Hélène Despic
Directrice de Nouvel Est