Passée la première maison-tour, on sait qu’on est enfin arrivé en Svanétie, cette région montagneuse pratiquement inexpugnable du nord-ouest de la Géorgie, où vit une communauté qui se dit fière d’avoir repoussé toutes les invasions. Vous me direz : la région est pauvre et donc pas particulièrement attirante pour les envahisseurs. Certes avec ses sommets qui culminent à 5000 m, ses villages coupés du monde l’hiver par d’abondantes neiges, la région n’a toujours eu qu’une activité économique ou même agricole réduite. Sans oublier toutefois que, selon la légende, c’est dans cette partie de l’ancienne Colchide que Jason et les Argonautes découvrirent la Toison d’Or (une peau de mouton trempée dans une rivière aurifère). Qu’elle ait ou non excité l’appétit des pillards et autres conquérants, il n’en demeure pas moins que la Svanétie, pays de durs bergers, est aussi une région de fiers guerriers qui ont longtemps conservé leur langue, le svane, et leurs coutumes ancestrales, dont la vendetta, totalement taboue à l’époque soviétique.
C’est dans un but défensif que les tours ont été élevées par les familles svanes. Qu’elles aient été construites au Moyen- Âge, ou plus près de nous, au XVIIIe siècle, elles ont toutes cette même structure : large du bas, et s’effilant vers le haut. Formées de trois à cinq étages, dont le dernier était consacré à la défense, les tours sont attenantes à des habitations de deux étages dont celui du bas était partagé entre hommes et animaux. Les tours ont aujourd’hui perdu leur fonction guerrière et servent essentiellement aujourd’hui à stocker des produits et du matériel agricoles. Les maisons-tours les plus nombreuses se trouvent à Ouchgouli (ou Ushguli), le plus haut village habité toute l’année d’Europe (2.300 m), formé de quatre hameaux, dont à lui seul, le hameau de Tchajachi (ou Chazhashi) comporte 200 édifices de ce type. Ils ont été inscrits par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité en 1996, mais malgré cela, leur état se dégrade sous l’effet des rudes conditions climatiques. Le chef-lieu de la Svanétie,, Mestia, en compte de nombreux, qui peuvent se visiter facilement.
Les maisons-tours avaient également une autre fonction, dont on parle peu aujourd’hui, tant ce sujet était resté tabou : celui de protéger les cibles de vendettas. Loin de la justice des princes, des rois et des états, les familles svanes, à l’organisation clanique, avaient pratiquement édicté leurs lois. L’une d’entre elles était la dette de sang (littéralement « responsabilité de sang ») due par les membres masculins de la famille de l’assassin à celle de la victime. Les tours servaient alors de refuge, et quasiment de prison privée aux hommes concernés. La pratique aurait repris ses droits après la chute du communisme à la fin des années 80, et, selon un journal britannique, il y avait au moins 20 familles svanes en vendetta à Mestia au début des années 2000. Mais ces chiffres n’ont pas été confirmés par la justice et, selon les organisations des droits de l’homme, les meurtres motivés par la vendetta seraient devenus extrêmement rares.
Aujourd’hui, ces maisons tours qui ne servent plus qu’à stocker du grain et des outils agricoles ne sont plus qu’un témoignage d’un mode de vie ancien et un bel héritage architectural.
Hélène Despic